dimanche 6 août 2023

Marines

   Avec leurs peintures, dessins et gravures, les artistes nous auront transmis de précieux témoignages sur le monde maritime. Cette importante iconographie qui naît véritablement au 16ème siècle, nous a permis de mieux appréhender d’un point de vue historique, ethnographique et culturel, la vie des ports, des marins et de leurs navires, sans oublier les grands moments de l’histoire navale. De façon réciproque, il est parfois nécessaire d’aller puiser dans la culture maritime pour éclairer l’art. La connaissance de la mer, de l’architecture navale, du monde de la pêche ou de celui de la batellerie, s’avèreront des atouts précieux pour en premier lieu, dater et situer une œuvre et au-delà, pour mieux cerner la démarche artistique de son auteur. En voici deux exemples.

Récemment, un débat est apparu sur les réseaux sociaux autour de deux peintures de l’artiste américain John Singer Sargent (1856 - 1925) détenues par le Gilcrease Museum à Tusla dans l’Oklahoma. Les titres explicites, On the Coast of Brittany, nous renvoyaient au passage de l’artiste en pays breton en 1878. 

On the coast of Brittany
John SINGER SARGENT

On the coast of Brittany, 1878
John SINGER SARGENT

Pourtant, de nombreux indices viennent contredire cette localisation avec, en premier lieu, l’échouage des bateaux. Cette pratique courante en Manche et en Mer du Nord, était nettement plus rare en Bretagne compte tenu de la topographie du littoral et de l’existence de ports. Plus déterminante encore est la présence sur les flancs des bateaux de dérives latérales rectangulaires, d’une grand-voile ferlée sur la corne, point d’amure relevé, et de longs pavillons flottant en tête de mât (détails ci-dessous). 


Ces particularités nous renseignent de façon précise sur l’origine des embarcations. Il s’agit ici de bateaux de pêche hollandais dénommés bomschuit avec leurs ailes de dérive (zwaard) et leurs pavillons emblématiques composés d’un bras rigide (scheerhoutje) soutenant une longue flamme (vleugel). Les bomschuit seront largement illustrés dans les peintures d’Hendrik Mesdag (1831 - 1915), d’Anton Mauve (1838 - 1888) ou de Gerhard Munthe (1849 - 1929) mais aussi dans cette magnifique et émouvante image du photographe néerlandais Jan Goedeljee (1824 - 1905) prise dans les années 1900 sur la plage de Katwijk aan Zee. 

Strand met bomschuiten
Gerhard MUNTHE

Strand met bomschuit, Katwijk aan Zee, 1905
Gerhard MUNTHE

Bomschuiten in de golven voor de kust van Scheveningen, 1870
Hendrik MESDAG

Bomschuit op het strand van Katwijk ann Zee, circa 1900
Jan GOEDELJEE

Les deux œuvres de John Singer Sargent ont donc été peintes de façon certaine sur les rivages de la Hollande et non sur ceux de la Bretagne. 

La culture maritime s’avère également précieuse pour mieux comprendre l’œuvre énigmatique du peintre belge Frans Hens (1856 - 1928). Dans ses marines, d’étranges bateaux rectangulaires surplombés de voiles carrées semblent tout droit sortis de son imagination. Devant de telles formes aussi anguleuses et sommaires, on en viendrait presque à douter de la capacité de ces bateaux à naviguer. Des représentations que les amateurs d’art ou de voile seraient prompts à critiquer, jugeant pour les premiers ces formes étranges ou grossières, soulignant pour les seconds l’incohérence d’un safran démesuré ou celle d’un gréement sous-dimensionné. 



Pourtant, il s’agit bien des bateaux que Frans Hens observait sur les rives de l’Escaut. Ces navires carrés si particuliers ont bel et bien existé parcourant les canaux des Flandres. Ancêtres des péniches, ils étaient dénommés baquet ou sabot de Charleroi, bélandre dans la région de Dunkerque et Calais. Vides, ils paraissaient flotter tels des bouchons exposant au vent leur énorme fardage. Pas moins de 400 baquets en bois naviguaient au milieu du 19ème dans les Flandres. Il n’en existe plus de nos jours et les derniers exemplaires en métal luttent pour leur préservation. Mariniste de talent, Frans Hens nous aura au-delà de l’originalité de son œuvre, fait partager une page précieuse de l’histoire de la batellerie. 



Sources :
Gilcrease Museum https://gilcrease.org/
Musée de la batellerie et des voix navigables de Conflans Sainte-Honorine 
Plan incliné de Ronquières https://www.ronquieres.org/
Nederlands Instituut voor Kunstgeschiedenis https://rkd.nl
Histoire et Patrimoine des Rivières et Canaux http://projetbabel.org/fluvial/index.htm

lundi 29 mai 2023

In memoriam

Nous dédions ces quelques oeuvres du peintre douarneniste Louis Marie Désiré-Lucas (1869 - 1949) à M. Germain MALETTE décédé le 14 avril. Amateur de peinture et très attaché à la ville de Douarnenez, Germain Malette animait le site Atao.





vendredi 11 février 2022

Auguste MATISSE (1866 - 1931)



   L’histoire de l’Art ne connaît qu’un seul Matisse et pourtant ils furent deux. A côté d’Henri (1869 - 1954) exista un peintre talentueux prénommé Auguste (1866 - 1931) et qui malgré son prénom, ne connut pas la renommée de son homonyme. Durant la vie des deux hommes, les confusions furent permanentes et alimentèrent avec joie la presse de l’époque. En mai 1923, L’œuvre dans sa rubrique A travers les revues artistiques relate avec espièglerie dans l’article reproduit ci-après, qu’il y a bien Matisse et Matisse…

« Une revue d'art qui vient de naître, La Peinture, commet dans son premier numéro une méprise vraiment drôle, et dont on s'amuse fort dans les ateliers. Rendant compte du Salon des Artistes Français, elle y découvre, parmi les exposants, quelques « fumistes », entre lesquels Henri Matisse. Citons : 
Chez Bernheim, toujours audacieux, Matisse expose, ne donnant au Salon que quatre toiles : Côte bretonne, La Maison, Dans les brisants et Matin gris sur la Seine. Matisse continue, sans trouver d'adeptes, à ne faire aucun cas ni du dessin ni de la composition, s'arrête à la couleur, couleur qui choque l'œil le plus averti, le plus tolérant, car il n’y a rien de sa palette dans la nature, mais le bluff fait autour de son nom fait s'étonner le visiteur qui, ne comprenant pas, se demande si ce n'est pas beau... Non ! l'Art ne se trouve pas ici... passons !...
Est-il besoin de dire que jamais Matisse n'exposa ni n'exposera au Salon des Artistes Français ? Mais voilà : le collaborateur de La Peinture a pris Le Pirée pour un homme et confondu Henri Matisse avec son modeste homonyme Auguste Matisse, peintre de marines, qui ne passa jamais pour un « fauve », au contraire, et qui, sage élève de Bonnat, ne redoute rien tant que d'être confondu avec l'autre Matisse, celui dont nous avons si souvent parlé à cette place et qui, en effet, l'autre mois, exposait chez Bernheim. Pauvre Auguste Matisse, dont les quatre toiles du Salon sont si peu subversives ! Voilà qu'on l'accuse « de ne faire aucun cas du dessin » ni de la « composition », d'avoir une couleur - lui ! - « qui choque l'œil » et de n'être qu'un bluffeur ! On en rira longtemps. »


Auguste Matisse naît à Nevers en 1866. Il se forme aux écoles des Beaux-arts de Dijon puis de Paris. Il sera peintre mais également maître verrier et affichiste. Le critique Roger de Félice nous rappelle en janvier 1920 dans Art & Décoration combien l’artiste fut attaché à l’île de Bréhat où le peintre « fin marin » résida près de 35 ans. Le portrait réalisé en 1912 par son ami également Bréhatin, Pierre Dupuis (1833 - 1915) témoigne à la perfection du rapport qu’Auguste entretint avec le monde maritime. Le peintre y figure en ciré bravant la tempête et ses embruns, carnet de croquis à la main.


Roger de Félice évoquera de façon très pertinente que « ce n’est pas au bord de mer que nous transportent en imagination les marines d’Auguste Matisse, mais en mer » en ajoutant « que les peintres de marines sont presque toujours des peintres de rivage mais que celui-ci est peintre de pleine mer ». Les grandes marines aux traits denses nous plongent effectivement dans l’univers inquiétant du large, là où les houles puissantes ne sont plus à l’échelle des hommes et de leurs navires. A l’opposé d’une mer lumineuse et joyeuse peinte par Raoul du Gardier (1871 - 1952), les œuvres marines d’Auguste Matisse illustrent les mers sombres faites de lames aux parois verticales et de brisants mortels. Cette faculté à illustrer la mer vaudra à Auguste Matisse d’être nommé en 1919 Peintre Officiel de la Marine.


Chevalier de la Légion d’honneur en juin 1926*, il est introduit par un autre artiste nivernais, le peintre et sculpteur Alix Marquet (1875 - 1939). Le dossier d’Auguste récapitule toute la richesse de son parcours d’artiste peintre et verrier exposé aux quatre coins du monde ; Buenos-Aires en 1910, Bruxelles et Rome en 1911, Londres et San-Francisco en 1915, Barcelone en 1917…


C’est en peignant une de ses grandes marines dans sa propriété de Bréhat que le peintre décèdera d’une crise d’apoplexie le 19 septembre 1931 à l’âge de 65 ans. Le quotidien Coemedia dans son édition du 26 septembre nous rappelle qu’il était « l'une des figures marquantes du Salon des Artistes français où on le voyait passer petit, râblé, avec ses épaules larges, toujours débonnaire et souriant, le visage perdu dans un collier de barbe noire, pareil à un robuste paysan nivernais dont la vitalité semblait défier le temps. (…). Ceux qui l'approchèrent précise-t-il, garderont le souvenir de ce peintre, laborieux et probe, soumis à son travail et le pratiquant avec la conscience d'un artisan d'autrefois ne ménageant ni son temps ni sa peine pour donner le maximum de ses possibilités. »


En introduction, le périodique rappelait « qu'il ne fallait pas le confondre avec Henri Matisse comme on l'a fait parfois au grand courroux de l'un comme de l'autre ». Une rigueur que n’eut pas l’édition européenne du New York Herald Tribune car, rapportant en ce même jour de septembre 1931 le décès de l’artiste, le journal évoqua la position respectable d’Auguste Matisse dans l’histoire de l’art et cela, ...« bien qu’il fût moins connu que son frère Henri ».


* : Selon le quotidien Paris-Midi paru le 11 juillet 1925, Auguste Matisse aurait même reçu la légion d’honneur destinée à Henri.

mardi 12 octobre 2021

C o p i l l a g e

 Bonjour à tous,

Nous sommes désolés de faire un message de cette nature mais devant la recrudescence du "copillage" de ce blog dont voici un récent exemple :

https://www.facebook.com/groups/1520890638213851/permalink/2647020555600848/

L'original : 

http://artmarines.blogspot.com/search/label/Georges%20BELNET

il nous paraît utile de rappeler certaines règles :

  1. tous les droits de ce blog sont réservés
  2. une demande préalable d'utilisation de son contenu doit être adressée à artmarines@free.fr
  3. après accord, l'utilisation des textes et photos ne peut se faire qu'avec une mention expresse de la source et un lien renvoyant sur le blog à l'article repris
  4. cette utilisation ne vaut en rien transfert de propriété 
  5. l'article repris ne peut faire l'objet de modifications

Merci pour votre compréhension et bonne lecture.


Regards croisés : Feiz ha Breizh (Foi et Bretagne)


Le Pardon, hst 1910 
Henri-Gabriel IBELS (1867 - 1936)

Angélus breton, hsc 1912
Marcel SAUVAIGE (1855 - 1927)

La Bretagne n’existerait pas sans ses recteurs, ses saints et ses pardons, sans ses ex-voto suspendus, ses calvaires de granit et ses monastères, sans ses innombrables chapelles que le poète Xavier Grall (1930 - 1981) appelait avec affection les granges à Dieu. Des taolennoù de Michel Le Nobletz (1577 - 1652) aux troménies de Locronan, nulle terre ne fut plus croyante que la Bretagne.

Les braises de la Foi s’éteignent aujourd’hui doucement même si la flamme renaît parfois dans le souffle de pardons aux accents folkloriques. Sur cette terre aux croyances si profondes, l’art au 19ème siècle fut le grand témoin de cette spiritualité constitutive de l’âme bretonne.

Du Christ jaune peint par Paul Gauguin (1848 - 1903) au Pardon de Kergoat de Jules Breton (1827 - 1906), les œuvres illustrant la Bretagne religieuse sont sans doute plus nombreuses que la légende attribuant à la péninsule « 7 mille 7 cents 7 vingts et 7 saints ».

Une religiosité que l’on découvre douce et colorée dans les œuvres de Maurice Denis (1870 - 1943), âpre et réaliste dans celles de la Bande Noire de Lucien Simon (1861 - 1945) et Charles Cottet (1863 - 1925), diverse et militante dans celles des Seiz Breur.

Comme par un jeu de miroir, toutes ces œuvres dans leur diversité forment aujourd’hui un pan important de l’identité et de l’histoire de la Bretagne. Par-delà le temps, ces artistes viennent nous interroger sur la place du religieux et de la spiritualité dans la culture bretonne contemporaine.

Alexis VOLLON (1865 - 1945)


Entrée de messe à Pont-Croix, hsc 1934
Émile SIMON (1890 - 1976)

Bretonnes quittant un calvaire, hst
Pierre PAULUS (1881 - 1959)

Pont-Croix, hst
Jules-Hervé MATHÉ (1868 - 1953)

Sortie de messe en Bretagne
Théodore BOULARD (1887 - 1961)


Église de Ploaré, hst
Louis-Marie DÉSIRÉ-LUCAS (1869 - 1949)

Bretonnes en prière
Henri ROYER (1869 - 1938)
 

Retour du Pardon Saint-Jean Trolimon, 1912
Ernest GUÉRIN (1887 - 1952)