jeudi 5 juillet 2018

L'art et le commerce du faux

Une information récente nous apprenait que le Musée Etienne Terrus (1857 - 1922) situé à Elne dans les Pyrénées-Orientales venait de découvrir que 82 œuvres de sa collection étaient des faux. Abasourdie par cette nouvelle qui faisait ainsi disparaître plus de la moitié de son Musée, la Mairie portait plainte pour un préjudice estimé à plus de 160 000 euros représentant pas moins de vingt années d’acquisitions. La presse relatait que la gendarmerie des Pyrénées-Orientales enquêtait dorénavant sur un vaste trafic d'œuvres d'art, qui pouvait ne pas se limiter aux tableaux d’Etienne Terrus mais concerner d'autres artistes régionaux.

Le faux dans l’art est sans doute intemporel et il est toujours difficile de le circonscrire. Entre copies et pastiches, repeints et épreuves d’atelier, l’authentification s’apparente fréquemment à des enquêtes de détectives que facilitent aujourd’hui les progrès de la science et ceux de l’information. Les plus grands artistes furent copiés et l’on se remémore cette fameuse boutade qui attribuait à Jean-Baptiste Corot (1796 - 1875) trois mille tableaux dont cinq mille aux États-Unis. Chaque pays et chaque époque ont ses faussaires de haut vol ; le couple Beltracchi en Allemagne, la famille Greenhalg en Angleterre, le français Guy Ribes ou si l’on remonte un peu plus dans le temps, le flamand Han Van Meegeren.

Si ces faussaires talentueux ont pour point commun d’avoir falsifié les grands noms de l’art, il n’y a rien de surprenant à ce que la contrefaçon s’intéresse aux petits maîtres et que sa pratique soit des plus courantes. Avec une authentification des oeuvres plus difficile, des acheteurs novices et des mises à prix plus faibles, n’offre-t-elle pas tous les avantages pour les fraudeurs avec des gains certes plus limités, mais plus sûrs et réguliers ? A ce tableau pourrait-on dire, il ne faut pas omettre que la copie est entrée avec la mondialisation dans une dimension industrielle. La ville chinoise de Dafen en est assurément la capitale avec ses 8000 artistes à temps plein assurant près de 60% de la production mondiale de peintures à l’huile.

Cette brève me rappelle une histoire personnelle qui s’est déroulée il y a une dizaine d’année. Intéressé par une marine découverte sur internet, je me rapprochai du commissaire-priseur qui m’assura qu’il s’agissait « d’un peintre russe du XIXème attaché à l’École de Pont-Aven ». Rassuré par ces propos et devenu adjudicataire de l’œuvre, j’effectuai des recherches approfondies sur ce peintre qui restèrent totalement infructueuses. La réception de l’œuvre ne vint que confirmer mes pressentiments ; le tableau était peint sur un aggloméré des plus neufs dont les bords étaient tordus après avoir été forcés dans le cadre. Une pastille autocollante Made in China couronnait l'ensemble.

Ayant récupéré les photos des œuvres de ce peintre vendues dans cette étude de province, il me fut facile de découvrir que le prétendu artiste russe n’était qu’un vulgaire copiste des œuvres d’Henri Rivière, d’Alfred Guillou, d’Henri Barnoin ou de Fernand Bruguière. Ce n’est qu’après de difficiles discussions et après avoir effectué la restitution de la copie que je fus remboursé par l’étude. Plus tard, je retrouvai ces mêmes tableaux dans une vente aux enchères en Bretagne. J’informai immédiatement le commissaire-priseur de leur nature de copies.

Sans doute retirés de la vente, je les retrouvai enfin dans une galerie parisienne. Les ayant informés de la même façon, je reçus cette confondante réponse du galeriste : « le peintre est en effet venu en France où il est resté quelques mois dans les années 60. C’est à cette occasion qu’il a découvert les œuvres des peintres de Concarneau (sic) dont il a tellement aimé le travail qu’il a essayé de comprendre leurs techniques. Pour ce faire, il a réinterprété ou reproduit certaines de ses œuvres. Il n’en reste pas moins talentueux et les prix demandés sont loin de valoir les œuvres de ces maîtres tant appréciés par les amateurs éclairés dont vous semblez faire partie. Ce peintre est né en 1938 il est assez âgé et j’avoue ne pas savoir s’il est toujours vivant. Originaire de la région de Kiev et installé dans cette région, c’est très compliqué d’en savoir plus. Quoi qu’il en soit soyez rassuré les trois œuvres que nous proposons sont signé (sic) S… par S… lui-même et ne font pas figure de faux. Je n’en connai (sic) pas d’autres cela reste anecdotique dans son cheminement de peintre ».

Un fantomatique artiste russe devenu soudainement ukrainien, contemporain de Gauguin mais né en 1938, copiant en quelques mois des œuvres disséminées en Bretagne pour disparaître à jamais dans la région de Kiev. Une réponse dont la légèreté pouvait légitimement prêter à sourire. A la nuance près sans doute qu’elle était délivrée par un galeriste membre de l’Union Française des Experts et revendiqué spécialiste de l’École de Concarneau. Près d’un an après l’achat, je venais enfin de comprendre qui était sans doute à la source de cette production de copies écoulées dans cette étude de province. Un commerce lucratif basé sur un dol discret où des copies signées par un authentique inconnu se voyaient ainsi parées des vertus d’œuvres originales.

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