Notre monde moderne a oublié qu'il fut construit par les chevaux. Non par ceux que nous croisons aujourd'hui, montés au hasard d'une balade en campagne ou aux abords des paddocks d'un haras. Mais par ces chevaux de trait puissants et placides, que la mécanisation rendit progressivement inutiles. Ils furent de toutes les corvées, du labour des champs au débardage des forêts, tractant les carrioles urbaines et les berlines des mines de charbon. Et que dire de leur tribut durant les guerres qui déchirèrent l'Europe ? La France recensera plus d'un million de chevaux morts pendant la guerre 14 - 18. Les hommages sont rares pour les animaux perdus ou blessés à la guerre. La ville picarde de Chipilly peut s’enorgueillir de disposer à ce titre d'un rare mémorial réalisé par le sculpteur Henri GAUQUIÉ (1858 - 1927) présentant un artilleur anglais embrassant son cheval à l'agonie (ci-dessus). Le monde maritime et fluvial fera également grand usage des chevaux. On les verra tracter sur les chemins de halage et les quais, pêcher la crevette dans les eaux froides de la Mer du Nord, ramasser du goémon sur les rivages bretons ou bien encore des galets sur la plage de Brighton (ci-dessous).
En fidèles observateurs du monde, les peintres en feront un sujet fréquent de leurs tableaux. Plus rares seront ceux qui comme l'artiste belge Kurt PEISER (1887 - 1962), dépasseront l'iconographie animalière ou naturaliste pour dénoncer l'extrême dureté de leurs conditions. En France, cinq ans après la création de la Société de Protection des Animaux, la loi Grammont vint en 1850 punir d'amende ou de prison la maltraitance des animaux. Dans les années 1870, Edouard Roche dans son manuel sur les chevaux au titre explicite Les Martyrs du travail déplore les graves accidents et les actes révoltants qui quotidiennement se déroulent dans les rues, sur les routes ou dans les exploitations. "Les animaux de trait écrit-il, constituent une partie importante de la richesse publique. L'homme ne saurait se passer de ces utiles auxiliaires. Comment en effet, sans-eux, cultiver nos terres, comment transporter cette infinité de matériaux pour la construction de nos maisons et de nos édifices, comment exploiter nos carrières, nos mines, nos forêts, tracer nos routes, creuser nos ports et nos canaux, établir nos chemins de fer, comment enfin voyager et transporter toutes ces marchandises si diverses indispensables à nos besoins, à nos jouissances ? Les animaux de trait contribuent donc par leur travail et pour une très large part au bien-être des sociétés humaines (...). L'homme a apprivoisé et dressé pour son usage certains animaux doux et paisibles. Le cheval, le mulet, l'âne, le bœuf sont de ceux-là. Il doit donc traiter en amis, non en esclaves, ces doux serviteurs qui lui donnent toutes leurs forces, toutes leurs sueurs, jusqu'à leur vie, qui lui apportent par leur travail, par leurs fatigues, le soulagement et le bien-être".
Le peintre suédois Oscar GRÖNMYRA (1874 - 1911) illustrera dans les deux peintures ci-dessus les chevaux de trait affectés au débardage. Dans une tempête de neige, le cheval peine à traîner les grumes. Son encolure est baissée pour souligner la lourdeur du fardeau tandis que sa croupe s'enfonce dans la neige fraîche. Cette scène impressionne le peintre qui à l'instar d'un film, nous la décrit en deux tableaux complémentaires. Si le premier peut apparaître comme une simple scène naturaliste, le second illustre parfaitement le dessein de l'artiste qui souhaite nous faire partager dans ce récit la condition de l'animal.
Le peintre norvégien Harald KIHLE (1905 - 1997) illustrera fréquemment ces mêmes chevaux de trait. Dans une atmosphère hivernale, l'homme et le cheval sont ici représentés dans leur solitude respective. Le peintre souligne le même sentiment de résignation qui étreint l'homme et l'animal.
Le grand illustrateur de chevaux que fut le peintre suédois Alexander LANGLET (1870 - 1953) nous présente dans cette scène de labour, un moment rare. Celui où dans les lumières du couchant, l'homme et les chevaux se sont arrêtés pour souffler. Assis sur le mancheron de sa charrue, l'homme a-t-il été attentif à la fatigue de ses bêtes ? Ou s'est-il arrêté pour son propre repos ? Les chevaux patientent, dociles, conscients qu'il faudra vite repartir.
Kurt Peiser illustrera avec force et sensibilité le sort des chevaux de halage. La peinture ci-dessus se déroule sans doute dans le port d'Anvers que l'artiste décrira souvent. La scène est brutale ; le cheval se cabre sous le poids de la charge et on l'entend hennir. L'animal asservi disparaît derrière son harnachement, prisonnier des brancards qui l'enserrent. Les rênes dans les mains, l'homme ne porte pas attention à la bête. Seule lui importe l'avancée de l'attelage. Dans d'autres peintures, Kurt Peiser associera souvent le destin des charretiers et de leurs chevaux unis dans la même misère.
Le peintre norvégien Gerhard Morgenstjerne MUNTHE (1875 - 1927) présente ici une scène typique des plages des Pays-Bas où il fera toute sa carrière. En cette fin de XIXème, les bateaux de pêche à fond plat appelés bomschuit sont en automne hivernés en haut des dunes de Scheveningen à La Haye. Plusieurs attelages tirent les lourds bateaux posés sur des billes de bois. Le peintre hollandais Anton MAUVE (1838 - 1888) illustrera une scène identique dans le tableau ci-dessous. Dans les deux tableaux, la résignation apparente des chevaux répond à l'énormité des bateaux massifs situés en arrière-plan.
C'est une autre scène de plage que le peintre danois Niels Pedersen MOLS (1859 - 1921) nous offre enfin. Sur les rivages de Sønderho au Danemark, le cheval vient de tracter une cabine de plage.
Durant le XIXème, ces cabines dites hippomobiles fleuriront sur tous les rivages de la Normandie à la Scandinavie, assurant aux premiers bains de mer la décence imposée par l'époque. Comme sur l'image ci-contre du photographe René DESCLÉE (1868 - 1953) prise en 1893 sur la plage belge de Middelkerke, les chevaux assuraient alors le va-et-vient des cabines au gré des marées de ces plages aux fonds plats et sableux.