Dans un coin d’une salle du Musée
des Beaux-Arts de Brest se trouve une peinture de taille modeste d’une jeune
fille posant de profil l’air grave et digne. Les couleurs sombres donnent au
portrait une note solennelle, presque tragique. Avec virtuosité, l’artiste a
centré son œuvre sur les reflets nacrés de la coiffe. Si cette peinture a la maîtrise
et la majesté des portraits flamands du siècle d’or, elle n’est pas celle d’un
peintre de cour illustrant une quelconque jeune fille de noblesse.
De façon extraordinaire, cette œuvre
est celle d’un garçon de 16 ans. L’artiste Louis Marie DÉSIRÉ-LUCAS l’a réalisée
en 1886 sur l’île d’Ouessant au large du Finistère en Bretagne. L’histoire nous
apprend que le modèle est une jeune fille de sept ans dénommée Marie-Hélène
Malgorn. Louis Marie Désiré Lucas, élève au Lycée de Brest est passionné de
dessin depuis sa prime enfance. « A
quatre ans, disait-il, je faisais déjà des fugues au port, où mes parents
affolés me retrouvaient en train de dessiner les bateaux… » (1).
Cette Jeune Ouessantine restera profondément attachée au parcours du
peintre. L’écrivain breton Auguste Dupouy (1872 - 1967) nous le rappelle dans L’Art et les Artistes en 1930 :
« Avec une légitime piété pour ces
lointains débuts, (Désiré-Lucas) garde
dans ses archives d’artiste une certaine Petite Ouessantine qui date de 1886 (il n’avait pas dix-sept
ans), fin et grave profil de fillette, dont la coiffe presque monastique accuse
la gravité. » La toile aide sans doute l’artiste à décrocher la
modeste bourse de la ville de Brest qui lui permet de rejoindre Paris en mai 1889.
Admis aux Beaux-Arts en 1891, l’artiste devient l’élève des portraitistes William
Bougereau (1825 - 1905) et Tony Robert-Fleury (1837 - 1911). Aussi utile
fut-il, cet académisme fut pour Désiré-Lucas
un enseignement à rebours qui aboutira au refus au Salon de 1896 de son Ave Maria (2).
La rencontre de Désiré-Lucas avec
Gustave Moreau (1826 - 1898) marque une rupture pour le peintre et la Jeune Ouessantine y joue un rôle central. Auguste Dupouy nous conte l’histoire (2) : « Peu
d‘artistes contemporains auront connu à ce point l’angoisse de ces carrefours
de la vie – compita vitae – dont parlait
il y a dix-neuf siècles le poète Perse. Que résoudre ? D’autres eussent
fait de la banque. Mais Désiré-Lucas, Breton têtu, n’est pas de ceux qui
renoncent. Ce qu’il lui faut, c’est un remontant. Un paquet de toiles et d’études
sous le bras, il va trouver Gustave Moreau, le grand artiste qu’il admire en
secret, qu’il place plus haut que tous dans sa vénération. L’accueil est plein
de bienveillance et de franchise. Désiré-Lucas a lui-même relaté, dans une
revue d’art, cette entrevue. Le maître alla jusqu’à lui demander :
-
Et si je vous
disais d’abandonner la peinture, que feriez-vous ?
La réponse fut celle qu’il prévoyait sans doute : le conseil ne
serait pas suivi. Alors il soumit le visiteur à une épreuve décisive. Il le
laissa seul quelques instants, en le chargeant de ranger contre un mur,
lui-même, par ordre de mérite, ces œuvres inégales, parmi lesquelles il en
voyait une de grande qualité.
« Sans le moindre tâtonnement, écrit Désiré-Lucas, je classai
chaque chose à sa place définitive.
La tête de Jeune Ouessantine prit
la première place, puis mes croquis d’enfance et de jeunesse ; ensuite un
vide, un grand espace, et très loin, un peu dans l’ombre, mes études d’atelier
« Mon grand juge apparut. Au premier coup d’œil il sourit,
approuve et me dit : « - Mon
petit, vous êtes sauvé. ».
Loin de Paris, Désiré-Lucas poursuit une
brillante carrière, couronnée par son élection à l’Académie des Beaux-Arts le
11 avril 1943 en remplacement du portraitiste Jacques-Émile Blanche (1861 -
1942). La presse rappelle que ses toiles célèbrent la beauté des sites bretons
et écrit : « On lui doit aussi quelques
portraits, en particulier une « Ouessantine » qui est célèbre. »
Désiré-Lucas décédé en 1949 ne se
départira jamais de cette œuvre si intimement liée à son parcours. La toile dédicacée
« A ma femme bien aimée, 20 juillet 1901 » fait l’objet d’un don par la
famille de l’artiste au Musée des Beaux-Arts de Brest en 1970 grâce notamment à l’intermédiaire
du peintre breton et élève de Désiré Lucas, Jim Sévellec (1897 - 1971).
En
avril 2012, le Musée présente le tableau restauré grâce à l'association et société
«Pour l'étude de l'œuvre du peintre Désiré-Lucas»
et quelques mécènes.
1. In Désiré Lucas, Amicale pour l'étude de l'oeuvre du peintre Désiré Lucas, catalogue de l'exposition au MBA de Brest, 25 septembre - 27 octobre 1995
2. Auguste Dupouy, DÉSIRÉ-LUCAS, L'Art et les Artistes, 1930