A mon Père, médecin
A tous les malades et ceux qui les soignent
Les pays et les villes se sont arrêtés, pétrifiés par cette pandémie dont on souhaite tel un cyclone qu’elle s’éloigne et perde ainsi son pouvoir destructeur. A la différence de la maternité ou du deuil, les peintres n’auront que rarement illustré la maladie alors que les derniers siècles furent pourtant marqués par les ravages du choléra, de la variole et surtout de la tuberculose, qui à elle seule représentait au 19ème près d’un quart des décès d’adultes en Europe et qui emporta notamment le compositeur Frédéric Chopin, l’écrivain Anton Tchekhov et les romancières Anne, Emily et Charlotte Brontë. La femme phtisique deviendra une image du romantisme reprise dans les œuvres de Chateaubriand, d’Hugo ou de Dumas. Dans une grande toile Voyage in extremis présentée au Salon de 1880, le peintre Albert-Guillaume Démarest (1848 - 1906) la fait figurer dans une extrême pâleur, portée sur une civière, qu’accompagnent des proches et des domestiques. L’émotion de la scène est accentuée par le salut d’un paysan au passage du triste convoi.
Au-delà de cette vision romantique, les quelques artistes ayant illustré la maladie auront souvent été inspirés par la souffrance d’un proche. C’est le cas du peintre américain James Whistler (1834 - 1903) qui dans une lithographie de 1896, représente son épouse Béatrice atteinte d’un cancer, regardant la ville de Londres depuis le balcon du Savoy Hotel.
C’est un même sentiment de compassion qui poussera l’artiste suédois Carl Larsson (1853 - 1919) à dessiner son épouse Karin affectée par une sévère pneumonie. L’artiste illustre ici avec la virtuosité de son dessin, l’extrême fatigue de sa femme dont le regard oblique empreint d’une légère curiosité est le signe du début de la Convalescence, titre de cette aquarelle réalisée en janvier 1899 dans leur maison de Stora Glasbruksgatan à Stockholm.
Enfin, comment ne pas évoquer, les drames qui touchèrent les artistes norvégiens Edvard Munch (1863 - 1944) et Christian Krohg (1852 - 1925). Alors que le jeune Edvard n’a que cinq ans en 1868, sa mère décède de la tuberculose. L’enfant et ses quatre frères et sœurs sont éduqués par leur tante Karen Bjolstad. La maladie frappe de nouveau la famille et la sœur aînée d’Edvard, Johanne-Sophie décède à son tour en 1877 de la tuberculose à l’âge de 15 ans. Edvard Munch, devenu peintre, illustrera cette tragédie dans une série de six tableaux. Le premier réalisé en 1885, intitulé L’enfant malade fait scandale par sa forme inachevée qui marque le début de l’expressionisme. Tout dans l’œuvre n’est que douleur, du regard perdu de la jeune fille sentant sa fin approcher, au déchirement de sa tante dont la tête baissée confirme l’absence de tout espoir.
Christian Krohg (1852 - 1925) aura connu les mêmes affres. Sa mère Sophie décède de la tuberculose alors qu’il n’a que neuf ans et sept ans plus tard, en 1868, sa sœur Nana est emportée par la maladie. Devenu peintre, l’artiste réalise en 1880 la Fillette malade. Si ce portrait fut peut-être une source d’inspiration pour l’œuvre d’Edward Munch, il s’en éloigne profondément par son approche naturaliste. Dans cette composition, Christian Krohg nous contraint à un face à face avec la souffrance. Avec son regard direct et grave, la jeune fille nous interroge sur l’injustice de ce mal qui la frappe et qui, à l'image de cette fleur coupée aux feuilles tombantes, vient mettre un terme à son enfance.
Si les progrès de la recherche médicale, la vaccination et les mouvements hygiénistes permettront de réduire la mortalité, l’espérance de vie en France en ce début du 20ème n’est encore que de 45 ans. La maladie endeuille fréquemment les familles et touche les plus jeunes. Un enfant sur cinq meurt avant cinq ans et cette mort est parfois acceptée avec résignation tant elle est courante. Vers 1897, Charles Cottet (1863 - 1925) en sera le témoin en réalisant à Ouessant sa célèbre toile sur La Veillée d’un enfant mort.
L’attention aux plus fragiles que sont les enfants sera illustrée dans quelques œuvres comme cette aquarelle de l’artiste irlandais Walter Osborne (1859 - 1903) réalisée en 1898. La petite Violet Stockley âgée de 5 ans est veillée par sa grand-mère et le flacon posé sur la commode ne laisse aucun doute sur la raison de cet égard particulier.
C’est une scène proche que l’artiste française Emma Herland (1855 - 1947) présentera au Salon de 1903. Dans cette toile intitulée Pauvre petite, une mère attentive tente de soulager sa fille malade dont la pâleur évoque là aussi la tuberculose. La Bretagne, et notamment le Finistère, en ce début de 20ème siècle est une région particulièrement touchée et la maladie souvent considérée dans les familles comme honteuse, ne fait l’objet d’aucunes déclarations ou de suivis particuliers. Les premiers dispensaires et sanatoriums y répondront progressivement.
Passées les douleurs et les fièvres, c’est pour les plus chanceux et les plus robustes qu’advient le temps du repos et de la récupération. Deux grandes artistes finlandaises Hanna Frosterus-Segerstråle (1867 - 1946) et Helene Schjerfbeck (1862 - 1946) nous laisseront de magnifiques témoignages de ce retour à la vie. Dans Le petit patient en 1889, Hanna Frosterus peint un jeune garçon attiré par quelques raisins, signe de l'appétit retrouvé. Assise à ses côtés, une femme au regard bienveillant exprime dans un demi-sourire son soulagement.
La maladie est vaincue et c’est cette victoire de la vie qu’illustre en 1888 la célèbre peinture d’Helene Schjerfbeck. La convalescente est une petite fille au regard encore brillant de fièvre saisissant avec émerveillement un jeune rameau apporté par le printemps. Les cheveux en bataille et le drap froissé témoignent de ce que fut la lutte contre la maladie. Peinte à Saint-Ives en Cornouailles anglaises, l’œuvre présentée à Paris rencontrera un succès immédiat et sera par la suite acquise par l’Ateneum à Helsinki. L’artiste à la santé très fragile y était attachée comme le symbole imagé de sa propre lutte contre la maladie.
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