L’histoire de l’Art ne connaît qu’un seul Matisse et pourtant ils furent deux. A côté d’Henri (1869 - 1954) exista un peintre talentueux prénommé Auguste (1866 - 1931) et qui malgré son prénom, ne connut pas la renommée de son homonyme. Durant la vie des deux hommes, les confusions furent permanentes et alimentèrent avec joie la presse de l’époque. En mai 1923, L’œuvre dans sa rubrique A travers les revues artistiques relate avec espièglerie dans l’article reproduit ci-après, qu’il y a bien Matisse et Matisse…
« Une revue d'art qui vient de naître, La Peinture, commet dans son premier numéro une méprise vraiment drôle, et dont on s'amuse fort dans les ateliers. Rendant compte du Salon des Artistes Français, elle y découvre, parmi les exposants, quelques « fumistes », entre lesquels Henri Matisse. Citons :
Chez Bernheim, toujours audacieux, Matisse expose, ne donnant au Salon que quatre toiles : Côte bretonne, La Maison, Dans les brisants et Matin gris sur la Seine. Matisse continue, sans trouver d'adeptes, à ne faire aucun cas ni du dessin ni de la composition, s'arrête à la couleur, couleur qui choque l'œil le plus averti, le plus tolérant, car il n’y a rien de sa palette dans la nature, mais le bluff fait autour de son nom fait s'étonner le visiteur qui, ne comprenant pas, se demande si ce n'est pas beau... Non ! l'Art ne se trouve pas ici... passons !...
Est-il besoin de dire que jamais Matisse n'exposa ni n'exposera au Salon des Artistes Français ? Mais voilà : le collaborateur de La Peinture a pris Le Pirée pour un homme et confondu Henri Matisse avec son modeste homonyme Auguste Matisse, peintre de marines, qui ne passa jamais pour un « fauve », au contraire, et qui, sage élève de Bonnat, ne redoute rien tant que d'être confondu avec l'autre Matisse, celui dont nous avons si souvent parlé à cette place et qui, en effet, l'autre mois, exposait chez Bernheim. Pauvre Auguste Matisse, dont les quatre toiles du Salon sont si peu subversives ! Voilà qu'on l'accuse « de ne faire aucun cas du dessin » ni de la « composition », d'avoir une couleur - lui ! - « qui choque l'œil » et de n'être qu'un bluffeur ! On en rira longtemps. »
Auguste Matisse naît à Nevers en 1866. Il se forme aux écoles des Beaux-arts de Dijon puis de Paris. Il sera peintre mais également maître verrier et affichiste. Le critique Roger de Félice nous rappelle en janvier 1920 dans Art & Décoration combien l’artiste fut attaché à l’île de Bréhat où le peintre « fin marin » résida près de 35 ans. Le portrait réalisé en 1912 par son ami également Bréhatin, Pierre Dupuis (1833 - 1915) témoigne à la perfection du rapport qu’Auguste entretint avec le monde maritime. Le peintre y figure en ciré bravant la tempête et ses embruns, carnet de croquis à la main.
Roger de Félice évoquera de façon très pertinente que « ce n’est pas au bord de mer que nous transportent en imagination les marines d’Auguste Matisse, mais en mer » en ajoutant « que les peintres de marines sont presque toujours des peintres de rivage mais que celui-ci est peintre de pleine mer ». Les grandes marines aux traits denses nous plongent effectivement dans l’univers inquiétant du large, là où les houles puissantes ne sont plus à l’échelle des hommes et de leurs navires. A l’opposé d’une mer lumineuse et joyeuse peinte par Raoul du Gardier (1871 - 1952), les œuvres marines d’Auguste Matisse illustrent les mers sombres faites de lames aux parois verticales et de brisants mortels. Cette faculté à illustrer la mer vaudra à Auguste Matisse d’être nommé en 1919 Peintre Officiel de la Marine.
Chevalier de la Légion d’honneur en juin 1926*, il est introduit par un autre artiste nivernais, le peintre et sculpteur Alix Marquet (1875 - 1939). Le dossier d’Auguste récapitule toute la richesse de son parcours d’artiste peintre et verrier exposé aux quatre coins du monde ; Buenos-Aires en 1910, Bruxelles et Rome en 1911, Londres et San-Francisco en 1915, Barcelone en 1917…
C’est en peignant une de ses grandes marines dans sa propriété de Bréhat que le peintre décèdera d’une crise d’apoplexie le 19 septembre 1931 à l’âge de 65 ans. Le quotidien Coemedia dans son édition du 26 septembre nous rappelle qu’il était « l'une des figures marquantes du Salon des Artistes français où on le voyait passer petit, râblé, avec ses épaules larges, toujours débonnaire et souriant, le visage perdu dans un collier de barbe noire, pareil à un robuste paysan nivernais dont la vitalité semblait défier le temps. (…). Ceux qui l'approchèrent précise-t-il, garderont le souvenir de ce peintre, laborieux et probe, soumis à son travail et le pratiquant avec la conscience d'un artisan d'autrefois ne ménageant ni son temps ni sa peine pour donner le maximum de ses possibilités. »
En introduction, le périodique rappelait « qu'il ne fallait pas le confondre avec Henri Matisse comme on l'a fait parfois au grand courroux de l'un comme de l'autre ». Une rigueur que n’eut pas l’édition européenne du New York Herald Tribune car, rapportant en ce même jour de septembre 1931 le décès de l’artiste, le journal évoqua la position respectable d’Auguste Matisse dans l’histoire de l’art et cela, ...« bien qu’il fût moins connu que son frère Henri ».
* : Selon le quotidien Paris-Midi paru le 11 juillet 1925, Auguste Matisse aurait même reçu la légion d’honneur destinée à Henri.