mardi 4 novembre 2025

2/2. Regards croisés : le halage

Le peintre belge Camille BARTHELEMY (1890 -1961) évoque un autre type de communion dans une toile de 1920. Celle de deux haleurs sanglés partageant le sort d’un cheval de trait. L’artiste nous interpelle avec force dans cette œuvre au réalisme militant où les haleurs sont devenus des bêtes de somme à l’égal du cheval. Entravés, ou de façon plus juste enchaînés, comme le suggèrent les mains jointes dans le dos du haleur de bleu vêtu, les trois acteurs partagent le même sort. Là aussi, l’artiste occulte volontairement l’objet du halage pour se centrer sur la souffrance de ces forçats. Comme Ilia RÉPINE, d’autres artistes vont choisir de regarder en face et à hauteur d’homme la brutalité du halage. Dans les peintures de Paul Maurice MAILLARD (1888 - 1975), de Bernard BOUTET De MONVEL (1881 - 1949) ou dans la gravure de Maurice LANGASKENS (1884 - 1946), les visages, pétris de fatigue et de lassitude, les corps et les têtes baissés sont autant d’expressions de douleur. En arrière plan, les proues sombres des lourdes péniches nous font comprendre la fatigue de ces hommes dans ce combat si inégal. 


Scène de halage, 1920
Camille BARTHELEMY (1890 - 1961)

Les Haleurs
Paul Maurice MAILLARD (1888 - 1975)

Les Haleurs, 1906
Bernard BOUTET De MONVEL (1881 - 1949)

Les Planches murales, lithographie 1923
Maurice LANGASKENS (1884 - 1946)

Si le halage fut essentiellement pratiqué le long des canaux, rivières et fleuves, il sera également largement présent dans le monde maritime des ports et des rivages. Le peintre français Victor TARDIEU (1870 - 1937) dans une œuvre de 1903, captée sur les docks de Liverpool, nous en livre un témoignage. Dans l’effervescence du port, quatre haleurs traversent la scène dans l’indifférence générale. Deux d’entre-eux nous regardent fixement sans que l’on sache s’il s’agit d’une réprobation ou d’un appel à la compassion. Présente dans la célèbre collection de Sergueï Chtchoukine (1854 - 1936), l’œuvre Les Mariniers de Lucien SIMON (1861 - 1945) illustre le sort peu enviable des marins qui, après la pêche, doivent  péniblement échouer leur bateau. On retrouve ces mêmes pêcheurs dans un dessin à l’encre de Georges MARONIEZ (1865 - 1933), croqués sur les quais de Boulogne-sur-Mer durant la Grande Guerre. Enfin, dans une vue particulièrement originale où l’effort des hommes envahit la toile, le peintre Emile GUILLAUME (1900 - 1975) illustre parfaitement la rudesse du halage. 


Liverpool, haleurs à l'aube, 1903
Victor TARDIEU (1870 - 1937)

Les Mariniers, circa 1897
Lucien SIMON (1861 - 1945)

Marins à Boulogne-Sur-Mer, circa 1914
Georges MARONIEZ (1865 - 1933)

Les Haleurs
Emile GUILLAUME (1900 - 1975)

Les haleurs seront également un sujet fréquemment choisi par les sculpteurs qui mettront en scène la force physique et la pénibilité de ce métier. Le belge Victor DEMANET (1895 - 1964), les français Georges VIVENT (1871 - 1949), Lucien FENAUX (1911 - 1969), Louis HERTIG (1880 - 1958) ou l’allemand Bernhard HOETGER (1874 - 1949) nous laissent des œuvres saisissantes où des hommes sanglés ploient sous l’effort. Jules HALKIN (1830 - 1888) dans une sculpture de 1885, toujours visible à Liège, et Constantin MEUNIER (1831 - 1905), dans un bronze de 1901, Le Haleur de Katwijk, rendront également hommage aux chevaux, compagnons d’infortune de ces hommes. Les œuvres où les femmes et les enfants apparaissent sont plus rares. Le talentueux dessinateur Georges DORIGNAC (1879 - 1925) y remédiera dans le fusain Les Haleuses daté de 1912, soit près de 30 ans après la loi Freycinet. 


De haut en bas et de gauche à droite
Les Haleurs, 1909  - Georges VIVENT (1871 - 1949)
Les Haleurs - Lucien FENAUX (1911 - 1969)
Les Haleurs, épreuve - Victor DEMANET (1895 - 1964) 
Les Haleurs, Solidarité - Louis HERTIG (1880 - 1958)
Le Haleur - Bernhard HOETGER (1874 - 1949)
Les Haleurs - Victor DEMANET (1895 - 1964) 

De gauche à droite
Le Cheval de halage, 1885
Jules HALKIN (1830 - 1888)
Le Haleur de Katwijk , 1901
Constantin MEUNIER (1831 - 1905) 

Les Haleuses , fusain 1912
Georges DORIGNAC (1879 - 1925)

Ce ne sont que dans les années 1930 que disparaitra en France le halage à col d’homme ou dit - à la bricole, du nom du harnais qui enserrait les épaules et les torses. Les chevaux disparaitront à leur tour pour laisser aux chemins de halage leur vocation actuelle et définitive de paisibles chemins de promenade.  


Haleurs , 1912
Georges DORIGNAC (1879 - 1925) 


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